Article de Jean-Luc Triolo paru dans le numéro 10 de la revue Planète à Vendre! (1992). Cet article est mis en ligne avec l'aimable autorisation de son auteur. Toute reproduction interdite.
 
 



Clark Ashton Smith:

Le magicien d'Hyperborée

Jean-Luc Triolo









   «Klarkash-Ton», ainsi le surnommait LOVECRAFT, restera sans nul doute l'un des plus grands écrivains fantastiques du XXe siècle. C'est avant tout dans ses contes de science-fantasy qu'il donnera la pleine mesure de son immense talent. Toutefois son style d'écriture le démarquait d'autres auteurs célèbres de son temps, tels que Robert HOWARD ou Abraham MERRIT, avec qui il partageait une identique appartenance au «Lovecraft Circle».

   Ses récits se caractérisaient par l'emploi de mots rares, raffinés, voire archaïques, inclus au sein de longues phrases agrémentées d'une véritable débauche d'adjectifs. Les scènes de combats et les démonstrations de force physique y étaient avantageusement remplacées par une grande recherche de vocabulaire couplée à une imagination sans limites. Rien d'étonnant dès lors à ce que son oeuvre déboucha sur la création de Mondes Perdus qui resteront longtemps gravés dans les mémoires. Très vite ses nouvelles s'inscriront dans un concept général de cycle qu'il ne cessera d'approfondir tout au long de son existence. Publiés à l'origine en ordre désordonné dans la célèbre maison d'édition d'Arkham House, l'essentiel de ses récits fut repris après sa mort par Lin Carter qui les classa méthodiquement par thèmes. Dès lors apparurent les fabuleux univers d'Hyperborée, Atlantis, Zothique et autres Xiccarph.

   C'est chez C.A. SMITH que la notion de cycle en tant que telle prend sa réelle résonnance, alors que chez HOWARD, par exemple, elle s'organise autour de la personnalité d'un héros à part entière (Conan, KulI, Bran Mak Morn) tandis que chez LOVECRAFT elle se focalise sur Arkham, point cardinal de l'épouvante. SMITH avait fait sienne certaines théories des occultistes qui prônaient que le continent primitif, le Gondwana, se reformerait à la fin des temps, bouclant ainsi le grand cycle terrestre. Zothique, le dernier continent, fut la parfaite élaboration de cette théorie. Chez SMITH, chaque cycle représente un ensemble propre, un monde qui grandit hors de l'oubli, culmine, chute et retourne dans le néant. Lorsque le cycle suivant recommence le même parcours, il a perdu l'essentiel du souvenir du précédent qui ne survit dans la mémoire des hommes que par son nom et certaines traces d'un savoir mythique mystérieusement conservé malgré le temps et l'oubli. Hyperborée inaugura cette chronologie.

   C'est chez PLINE l'Ancien (dans sa Naturalis Historia) que l'on trouve la première trace d'une terre délicieuse et fertile nommée Hyperborea dont la situation est vaguement localisée au nord de l'Écosse. Le soleil ne s'y levait qu'une fois par an, au milieu de l'été, et ne s'y couchait qu'une fois au milieu de l'hiver. Quatre rivières principales y coulaient à travers des pâturages luxuriants. Leurs eaux grouillaient de poissons et leurs rives regorgeaient de grenouilles à deux têtes, symbole de chance et de fertilité. Un pays de cocagne, somme toute, qui fut plus tard réactuaIisé par Helena Petrovna BLAVATSKY, une aventurière russe qui occupa une place prépondérante dans la fiction littéraire par le biais de sa cosmologie exposée dans 2 volumes de fausses sciences occultes: «Isis dévoilée» et «La Doctrine secrète». À travers ces ouvrages, elle mentionnait une première civilisation polaire, Hyperborée, suivie par le puissant empire de Lémurie, dans le sud du Pacifique, présageant lui-même l'Atlantide de PLATON.

   SMITH s'inspira de cette auguste dame pour son Hyperborée. Il créa donc un continent situé à la limite des régions polaires, continent pour lequel il dressa un index onomastique* original qui nous permet aujourd'hui d'esquisser une géographie de ces contrées perdues aux confins des légendes. Géographie si étroitement liée à l'histoire que c'est en s'intéressant aux principales cités de ce continent que nous serons le mieux à même de suivre le cheminement de la pensée de SMITH à travers les dix histoires qui composent ce cycle. Or ces magnifiques villes n'existent que par rapport au Mhu Thulan, péninsule la plus reculée du continent hyperboréen. Dans la première partie du cycle, nous allons découvrir cette région riche et prospère jalonnée de cités grandioses où s'élèvent les tours des sorciers et des mages, mais sur laquelle pèse la perpétuelle menace du Froid démoniaque venu des régions polaires. Bizarrement, les deux premiers récits vont nous entraîner loin de Mhu Thulan et d'yperborée.

«La venue du ver blanc» (1), première histoire du cycle de Mhu Thulan s'affirme avant tout comme une nouvelle prémonitoire. Nous y découvrons Rlim Shaikorht, le terrible ver géant venu des gouffres transpolaires pour étendre son royaume glaciaire sur l'ensemble du monde terrestre. Yikklith, le prodigieux iceberg qui lui sert de demeure navigue sur l'océan et congèle au passage êtres, vaisseaux, royaumes. Une poignée de sorciers survivent pourtant à son funeste passage car, embarqués sur la banquise errante, ils sont les seuls à pouvoir supporter l'atmosphère irrespirable qui imprègne la titanesque falaise de glace. Parmi eux, Evagh, sorcier de Mhu Thulan, qui comme ses congénères en est réduit à rendre un culte quotidien au redoutable dieu frigide dont la gangue polaire s'étend peu à peu sur tous les continents. Or, ses compagnons d'infortune disparaissent les uns après les autres avalés par Rlim Shaikorth à qui ils servent tout bonnement de nourriture. Afin d'échapper à ce sort guère enviable, Evagh profite du sommeil cyclique du dieu pour lui planter son épée dans le ventre. L'infecte matière noire qui dès lors s'écoule de la blessure va submerger le sorcier, puis l'iceberg entier qui s'enfonce dans la mer en entraînant avec lui la vorace entité qui l'habitait, tandis que les territoires ensevelis par la glace retrouvaient leur parure d'antan. Tel est le récit que l'esprit d'Evagh raconta à Eibon, sorcier du Mhu Thulan, quelques siècles plus tard. «La Venue du ver blanc», outre l'apparition du personnage d'Eibon que l'on retrouvera dans le récit suivant, impose son importance dans le cycle par son côté de répétition générale à la menace qui viendra à bout du Mhu Thulan, à savoir l'invasion du Froid issu d'abîmes subpolaires où croupissent des êtres situés au-delà de la raison humaine.

«La Porte de Saturne» (2) nous permet de retrouver Eibon, sorcier du Mhu Thulan, adepte de Zhothaqquah, monstrueux dieu-crapaud originaire d'un univers étranger dont le culte est incommensurablement antérieur à l'homme. Eibon est en butte à la jalousie et à l'hostilité de Morghi, grand-prêtre de la déesse Yhounded. Pour échapper à l 'horrible mort qui lui est promise il s'enfuit sur Saturne grâce à une porte magique que lui a donné Zhothaqquah en échange de son adoration. Mais Morghi, entêté, le suit dans son exil. Sur l'étrange planète où le dieu-crapaud a fait jadis escale avant de gagner la Terre, les deux sorciers vont rencontrer des peuplades aussi grotesques que différentes et, peu à peu, retrouver leur rang ancien du Mhu Thulan, monde sur lequel ils ne pourront jamais revenir car le voyage est sans retour.

Avec «Ubbo-Sathla» (3), nous allons également parler de voyage, mais cette fois de voyage dans le temps. Mhu Thulan ne sera qu'une toile de fond à notre histoire qui nous ramène à une époque quasi contemporaine lorsque Paul Tregardis, jeune chercheur en chose occulte, acquiert chez un antiquaire un mystérieux cristal dans la contemplation duquel, il sera irrémédiablement attiré. Ainsi son moi profond se trouvera profondément imbriqué à la personnalité de Zon Mezzamalech, sorcier de Mhu Thulan qui a naguère découvert le cristal et qui, par son entremise, rêve de retrouver la sagesse des dieux d'avant la création. Paul Tregardis participera à ses premières plongées dans le passé de Mhu Thulan et des royaumes qui l'ont précédé. Mais, pareil à Zon Mezzamalech, il sera impuissant lorsque la soif de connaissance du sorcier les emportera dans l'abîme du temps pour aller se fondre dans Ubbo-Sathla, la source et l'achèvement, démiurge informe et idiot qui demeurait avant tous les autres dieux dans les marais bouillonnants de la Terre nouvellement créée. Outre son allusion à Zhothaqquah, en tant que successeur d'Ubbo-Sathla, ce récit démontre son intérêt à travers les rapports qu'il entretient avec l'oeuvre de LOVECRAFT, à la fois par la mention du dieu informe et idiot qui ne dépareillerait pas le panthéon de l'ermite de Providence, mais surtout par la citation du livre d'Eibon, ouvrage sulfureux qui restera le digne pendant du Necronomicon de l'Arabe dément Abdul ALRAZRED.

L'histoire suivante, «Le destin d 'Avoosl Wuthoqquan» (4), bien que participant à la grandeur du Mhu Thulan focalise l'attention du lecteur sur Commorion, la capitale mythique d'Hyperborée. Nous y suivons les aventures d'Avoosl Wuthoqquan, le plus avaricieux des usuriers de Commorion dont la cupidité lui fit acquérir à vil prix deux émeraudes apportées par un petit voleur. Toutefois les pierres animées d'un vie surnaturelle l'entraînent hors de la cité, dans la jungle, puis au sein d'une profonde caverne dont la salle principale contenait de véritables montagnes de joyaux. Ce trésor est en vérité la propriété d'un poulpe monstrueux, lointain parent du dieu Tsathoggua, qui laisse parfois les voleurs lui dérober quelques pierres afin que ces dernières lui ramènent des proies bien plus intéressantes. Ainsi en est-il du malheureux Avoosl que la créature démoniaque retire des monticules d'or où il allait être enseveli pour le dévorer tout à loisir.

Avec «Les Sept sortilèges» (5), nous entrons dans la peau de Ralibar Vooz, haut magistrat de Commorion et troisième cousin du roi Romquat. Ce redoutable guerrier était parti chasser les Voormis, êtres demi-humains et cavernicoles vivants près du sommet du Voormithradeth, la plus haute montagne de la chaîne Eglophienne lorsque, par mégarde, il dérangea le sorcier Ezdagor durant ses incantations magiques. Celui-ci, pour le punir, le condamne à s'enfoncer dans les entrailles du pic vertigineux pour servir d'offrande vivante au terrible dieu Tsathoggua. Cependant ce dernier, rassasié, ne veut pas de lui et l'envoie, nanti d'un autre sortilège, à Atlach-Bnacha la déesse araignée. Refusé à nouveau il va, toujours sous l'emprise de sortilèges renouvellés, descendre encore plus bas dans le Voormithradeth. Tour à tour délaissé par le sorcier Haon-Dor, les redoutables Hommes-Serpents et les Archétypes, premiers spécimens de l'espèce humaine, il aboutira près de la mare putride où Abhot, père et mère de toute impureté, se livre à son interminable travail de scissiparité**. Abhot, qui ne reconnaît pas en lui l'une de ses progénitures, l'expédie alors vers le Monde Extérieur. Et c'est au cours de ce voyage retour que Ralibar Vooz; victime d'un faux-pas, est précipité dans un abîme qui lui sera fatal. Destin funeste donc, comme celui de l'usurier Avoosl, de l'histoire précédente et conclusion qui tend à prouver que cupidité et excès d'orgueil ne sont pas profitables dans la fréquentation des dieux. Des dieux où la personnalité de Tsathoggua s'affirme en tant que digne pendant du Zhothaqquah de «La Porte de Saturne», tandis que la représentation d'Aboth n'est pas sans nous rappeler celle de Ubbo-Sathla, la divinité originelle du récit portant son nom.

«Le Témoignage d'Athammaus»(6) apparaît ensuite comme une histoire charnière nous permettant de suivre la fin de Commorion et son remplacement par Uzuldaroum en lieu et place de capitale d'Hyperborée. Tout commença, nous narre Athammaus, premier capitaine de Commorion, par l'apparition parmi les Voormis; les demi-hommes des monts Eglophiens, de Knygathin Zhaum, un être d'exception qui sut rameuter autour de lui une troupe considérable, semant la terreur dans les régions voisines. Lorsque ces raids menacèrent les faubourgs mêmes de Commorion tous les moyens furent mis en oeuvre pour s'en débarrasser. Mais peine perdue, il s'avérait insaisissable, jusqu'au jour où il se laissa tranquillement capturer et emmener dans les murs de la ville. Condamné à avoir la tête tranchée, la sentence fut exécutée par Athammaus lui-même. Mais Knygathim n'était pas d'essence naturelle. En vérité, son ascendance maternelle le rattachait à Tsathoggua et la paternelle à une noire progéniture Protéenne. Il ressuscita plusieurs fois et, en dépit des exécutions répétées, revint hanter les rues de Commorion sous la forme d'une créature monstrueuse avide de chair humaine. Incapable de le vaincre, les habitants de la cité durent s 'enfuir pour créer, bien plus loin, une autre capitale, Uzuldaroum, dont Athammaus devint le premier capitaine.

Avec «Le Témoignage d'Athammaus», nous avons assisté à la fin de Commorion; «Le Démon des glaces» (7) nous contera celle, plus générale, du Mhu Thulan. Jadis déjà recouvert par le Grand Désert Blanc (cf. «La Venue du ver blanc»), ce royaume florissant où s'élevaient les temples noirs et trapus du dieu Tsathoggua fut victime de l'avancée inexorable du glacier Polarion, gangrené par la présence de maléfiques puissances venues du Dehors. Désormais le large isthme septentrional fut recouvert d'un rivage à l'autre par une formidable montagne de glaces éternelles. Plusieurs siècles après ce cataclysme, le roi Raalor d'Iqqua dont les ancêtres avaient régné sur le Mhu Thulan, entreprit de reconquérir son royaume. À la tête d'une véritable armée, il partit défier la funeste banquise. Mais la boule de feu que suscita Ommung-vog, son fidèle sorcier, ne parvint pas à vaincre les démons qui régnaient sur l 'étendue frigide et toute la troupe fut pétrifiée dans un tombeau de glace. C'est cette tombe que le chasseur Illa trouva un jour par hasard. Il en parla à son frère Quanga avant de mourir, tué par un ours. Quanga parla de cette découverte aux joailliers d'Iqqa, Room Feethos et Eibur Tsanth. Tous les trois partirent vers le Polarion afin de s'emparer des rubis magnifiques qui ornaient le torse du roi Haalor. Après un voyage pénible à travers les étendues glacées, ils trouvent la tombe et pénètrent dans le mausolée. Mais tandis que Quanga s'empare des joyaux à grands coups de pic, la grotte, dans une démoniaque transformation, se referme lentement sur eux. Eibur Tsanth est transpercé par une stalagmite tandis que Room Feethos périt broyé par les mâchoires de glace de l'entrée qui s'est rétrécie. Le chasseur réussit à s'enfuir avec une partie du fabuleux butin. Longtemps, il erre dans un paysage qui, changé par des puissances démoniaques, s'incline et se hérisse de piliers et de pyramides maléfiques. Cependant, il parvient enfin à quitter la banquise. Mais alors qu'ils se croit sain et sauf, à l'abri d'un végétation renaissante, une monstrueuse ombre de givre fond sur lui et le gèle sur place, tandis que les joyaux se répandent sur le sol attendant que la banquise les rejoigne dans son inexorable marche en avant.

   Ainsi les Puissances du Froid venues d'au-delà les abîmes transgalactiques ont finalement raison du prospère Mhu Thulan. C'est donc dans cette atmosphère sinistre où rode la menace du redoutable Polarion que se déroule l'histoire suivante: «La Sibylle Blanche» (8). Chronologiquement, on pourra la situer dans une période antérieure à celle du «Démon des glaces» puisque la ville de Cerngoth où réside le héros y est encore intacte, alors que le récit précédent annonçait pour elle la même fin glaciale que pour la célèbre Commorion. Tortha, le jeune poète qui l'habite, v croise la Sibylle Blanche, mystérieuse jeune femme venue des étendues glacées du Polarion qui visite les villes d'Hyperborée prédisant l'arrivée d'énormes langues de glace qui allaient recouvrir le continent dans les ères à venir. Tortha pris sous le charme de sa beauté à la fois céleste et funeste en tombe éperdument amoureux. Il la suit dans les montagnes blanches du nord et, entraîné dans une tempête surnaturelle, se retrouve au sein d'une vallée magique recouverte de fleurs où la Sibylle étendue près de lui se met à lui conter des choses divines et prodigieuses. Mais lorsqu'il tente de l'étreindre elle se transforme en cadavre racorni, puis en immonde charogne qui devient poussière impalpable et disparait en même temps que la radieuse vallée. Revenu dans les étendues glacées du Polarion, Tortha, en état de choc, est recueilli par les habitants à demi sauvages de ces montagnes. Soigné par Illara, une pâle jeune fille, il finit par la prendre pour la Sibylle et restera dorénavant avec le clan des hommes du froid.

Le Mhu Thulan a disparu, recouvert par la banquise. Commorion, la capitale d'Hyperborée a succombé sous les monceaux de glace vomis par le démoniaque Polarion. Pour la remplacer, les hyperboréens ont construit Uzuldaroum. Il est donc logique que les deux dernières histoires du cycle y retrouvent l'écho d'un nom déjà mentionné dans «Le Témoignage d'Ammathaus». Mais Uzuldaroum n est pas la seule connivence entre ces deux nouvelles. Pour la première fois, Clark Ashton SMITH sacrifie au culte du héros, en la personne du petit voleur Satampra Zeiros dont il va nous permettre de suivre un bref moment d'existence, moment dont, comme bien des personnages du cycle, il ne se tire pas toujours à son avantage. «Les 39 ceintures» (9) nous relate un simple vol dans les murs d'Uzuldaroum. Il s'agit tout bonnement de dérober les trente-neuf ceintures de chasteté en or incrusté de joyaux des vierges du même nombre enfermées dans un temple voué au culte du dieu lunaire Leniqua. Pour se faire Satampra, accompagné de Vixeela, ancienne vierge reconvertie dans la rapine, s'adjoint le concours de Veeir, un expert en pharmacologie. Ce dernier lui fournit un flacon de Poudre des Apparitions Fétides qui, répandue à l'intérieur du temple, libère toute une cohorte d'ectoplasmes les uns plus repoussants que les autres. Poursuivis par ces horribles créatures, les occupants de l'auguste édifice s'enfuient en tout sens laissant le champ libre à nos voleurs pour opérer leur larcin. Seul Marquanos, le Grand Prêtre, tente de s'interposer, mais il est assommé par Vixeela. Leur forfait réussi, Satampra et la jeune femme se cachent pendant un certain temps, tandis que Veeir garde le butin. Mais le pharmacologue peu scrupuleux s'empresse de quitter la ville avec l'ensemble des ceintures, bien décidé à ne jamais les partager et laisse le couple berné faire face aux investigations d'une police de plus en plus inquisitrice.

«L'Histoire de Satampra Zeiros» (10) nous permet de redécouvrir le petit voleur d'Uzuldaroum, allié cette fois à un comparse en truanderie, Tirouv Ompallios. Les deux hommes ont conçu une nuit d'ivresse le périlleux projet de s'emparer des trésors légendaires de Commorion abandonné par ses habitants à la suite d'une sinistre prédiction. Ayant traversé la jungle, ils parviennent dans la cité déserte et pénètrent dans le temple du dieu Tsathoggua. Ce faisant, ils réveillent une entité démoniaque tapie dans une vasque de bronze placée près de la statue du dieu. La créature qui en émerge adopte le forme d'une monstruosité ophidienne qui à l'aide de ses courtes pattes, se précipite sur eux. Toute la nuit, ils errent dans la jungle poursuivis par l'immonde émanation dont la taille ne cesse de croître. Le matin venu, ils s'aperçoivent qu'ils ont tourné en rond et se retrouvent tout près du temple maléfique. En désespoir de cause, ils s'y enferment. Mais leur chasseur se coule à l'intérieur. Tirouv Ompallios, fou de terreur, se réfugie dans la vasque. Il y est rejoint par le monstre et périt d'atroces façons. Satrampa, lui, parviendra à s'enfuir, mais perdra dans l'aventure une main tranchée net par un tentacule jailli du récipient démoniaque.

Ainsi se termine le cycle consacré à Hyperborée. Nous y retrouvons une allusion aux sinistres prédictions de la Sibylle Blanche qui expliquerait le véritable abandon de Commorion, alors que la fuite narrée dans «Le Témoignage d'Athammaus» n'aurait été qu'une péripétie dans l'existence mouvementée de la capitale hyperboréenne. Le temple dédié au dieu Tsathoggua nous révèle, une fois de plus, l'étroitesse des liens qui unissent ces dix histoires toutes trempées dans l'encre qui immortalise les légendes. Sans nul doute, l'Hyperborée de Clark Ashton SMITH fit beaucoup d'émules. HOWARD s'en inspira pour son Age Hyborien empli de bruit et de fureur. LEIBER, lui, retrouva l'ambiance glaciale du Polarion dans certaines histoires qui mirent en scène ses héros favoris, Fafhrd et le Souricier Gris (cf. «Les Femmes des neiges» ou «le Quai des étoiles»). VANCE développa avec «Cugel l'astucieux», certaines des aptitudes du voleur Satampra. Mais c'est surtout par l'originalité de son caractère mythique que le cycle gagne à être reconnu. La richesse d'imagination de l'auteur s'y développe à merveille à travers les descriptions de créatures et de paysages tout autant maléfiques qu'envoûtants dont la Sibylle Blanche, annonciatrice du malheur doté d'une beauté surnaturelle caractérise toute la complexe dualité. Plongés dans une atmosphère irréelle, nous évoluons dans un monde où survit la présence d'entités démoniaques, tels Tsathoggua, Ubbo-Sathla et autres Zhothaqquah, qui nous ramènent vers nos lointaines origines quand l'être humain n'était que misérable archétype et la Terre un marécage purulent.
 

Tel est Hyperborée, ce continent sur lequel pèse la sournoise mais perpétuelle menace, de la banquise envahissante, véritable monstre de glace investi par des Puissances venues d'au-delà les galaxies qui, par l'entremise du fabuleux Polarion, finira par conquérir l'ensemble du continent. Une digne ouverture somme toute pour des cycles à venir avec une Atlantide, plus proche de nous par l'évocation et le substrat émotionnel que son seul nom colporte et enfin Zothique, une oeuvre où le talent de Clark Ashton atteignit sa plus parfaite plénitude en nous retraçant l'histoire d'un monde tout entier conçu dans son imaginaire qui lui permettait de refermer avec élégance la boucle d'un temps qui sans cesse se renouvelle au fil du cycle immuable des recommencements, des périodes fastes et enfin des déclins qui guettent ces univers occultés par notre mémoire dont KIarkash-Ton nous invite à retrouver la trace mystérieuse et sans âge.   J.-L.T.

 * onomastique: relatif aux noms propres.
** scissiparité: division d'un organisme en deux organismes identiques.

Bibliographie

1) «La Venue du ver blanc»: in L'Empire des Nécromants.
2) «La Porte sur Saturne»: in L'Empire des Nécromants.
3) « Ubbo-Sathla»: in Ubbo-Sathla.
4) «Le Destin d'Avoosl Wuthoqquan»: in Ubbo-Sathla.
5) «Les Sept sortilèges»: in L'Empire des Nécromants.
6) «Le Témoignage d'Athammaus»: in Ubbo-Sathla.
7) «Le Démon des glaces»: in Les Abominations de Yondo.
8) «La Sibylle Blanche»: in Les Abominations de Yondo.
9) «Le Vol des 39 ceintures»: in Morthylla.
10) «L'Histoire de Satampra Zeiros»: in L'Empire des Nécromants.

L'Empire des Nécromants (Néo/SF 165).
Ubbo-Sathla (Néo/SF 155).
Les Abominations de Yondo (Néo/SF 203-204).
Morthylla (Néo/SF 218-219).

© 1992 Jean-Luc Triolo et Planète à Vendre!.